Nancy Ann, 80 années de ravissantes poupées de contes pour enfants

Dans l’Amérique en pleine dépression des années 1930, un peuple qui lutte pour sa survie trouve du réconfort dans le swing qui envahit les ondes radio, le monde imaginaire du cinéma et les rêves de jours meilleurs car, personne n’en doute, la prospérité reviendra. C’est dans un petit appartement de San Francisco qu’à la même époque Nancy Ann Abbott caresse son propre rêve, apporter l’espoir et le plaisir dans la vie des petites filles américaines en leur proposant de ravissantes poupées.
En 1936, avec seulement 125 $ d’investissement, elle travaille d’arrache-pied et crée sa toute première collection de poupées, les bébés “Hush-a-Bye”  en biscuit de 9,5 cm, dont les corps sont fabriqués au Japon (photos ci-dessous).


                       © Ruby Lane                                       © WorthPoint

Nancy Ann Abbott (Rowena Haskin de son vrai nom) est née en 1901 en Californie. Dès l’enfance, elle manifeste un penchant pour les poupées, spécialement pour la couture de leurs vêtements, ce qui restera une des grandes passions de sa vie. Après avoir étudié au College of Arts and Crafts d’Oakland (Californie), elle entame une carrière d’actrice, tout en créant des vêtements pour d’autres comédiennes. Elle aime aussi habiller des poupées dans les tenues portées par ses amies actrices dans leur films, pour les leur offrir.
Son nom de scène est Nancy Phipps : lorsqu’elle quitte son métier d’actrice pour ouvrir une boutique de prêt de livres à San Francisco en 1935, elle prend le nom de Nancy Ann Abbott. Dans sa boutique, elle propose à la vente des poupées qu’elle habille elle-même. Les poupées sont juste un passe-temps, mais constatant leur popularité, elle quitte sa boutique pour fonder sa propre entreprise de poupées, Nancy Ann Dressed Dolls. En 1937, la marque est déposée au registre du commerce de San Francisco et Nancy prend un partenaire, Allan “Les” Rowland”, pour assurer les aspects promotionnels et financiers. Les “Storybook dolls” (poupées de contes) de 13 cm commencent à être produites à la fin de l’année 1936, les corps étant fabriqués en Californie à partir de 1939.
Pendant les années de guerre, les usines produisaient, en plus des poupées, des tasses, plateaux et assiettes en biscuit pour les hôpitaux de  la Navy. Le gouvernement fédéral, considérant que les poupées sont nécessaires au moral des troupes et devant le niveau élevé de la demande, en expédie de nombreuses dans un centre à Hawaii, où les soldats peuvent les acheter et les envoyer au pays. En 1945, la marque change et devient Nancy Ann Storybook Dolls. À la fin des années 1940, elle devient le premier fabricant national de poupées, avec 12 000 exemplaires produits par jour.
Au cours du temps, la composition des poupées évolue : biscuit entre 1936 et 1948, avec bras articulés et articulations aux hanches ou non, puis plastique entre 1949 et 1965. Leur taille varie de 11,5 à 46 cm, la plupart des poupées parvenues jusqu’à nous mesurant 14 cm. Les premières poupées en biscuit ont les traits peints à la main, et les poupées en plastique passent des traits peints aux traits sculptés avec yeux dormeurs. La parure des cheveux, pour la plupart perruque collée en mohair, est une caractéristique des poupées Nancy Ann : chapeau, rubans, petit bouquet de fleurs,… La garde-robe constituée au cours des presque 30 années d’existence de la marque est considérable : elle utilise des tissus variés (coton, soie, satin, velours, laine) et offre de multiples décorations (rubans, dentelle, fleurs, nœuds).
Les nombreuses poupées en biscuit produites se répartissent dans 13 catégories : poudre et crinoline, poupées du mois, Operetta, comptine, famille, poupées du jour, saisons, sports, mascarade, american girl, autour du Monde, flower girl, storybook. Cette dernière, la principale ligne de poupées Nancy Ann, dont le nom reste attaché à la marque, est commercialisée avec le slogan “wee dolls for wee collectors” (petites poupées pour petits collectionneurs). Inspirée par des comptines et chansons pour enfants, elle compte jusqu’à 125 personnages en 1943 (photos ci-dessous).


                                    © Ruby Lane

Quant aux poupées en plastique, elles se répartissent dans 9 catégories : storybook avec yeux peints (1949-1950), storybook avec yeux dormeurs (à partir de 1951), “Muffie” de 20,5 cm, “Nancy Ann style show” de 46 cm, “Miss Nancy Ann” de 27 cm, “Little Miss Nancy Ann” de 23 cm, la toute-petite “Debbie” de 25,5 cm, “Sue sue” de 23 cm (bébé en vinyl), “Aline & Missie”.
Cependant, la production décline dans les années 1950, avec les problèmes de santé de Nancy Ann Abbott. Celle qui est connue comme “la Dame des poupées” décède en 1964. La mauvaise santé de son associé Les Rowland conduit à une tentative de vente de la société qui échoue. Elle dépose le bilan en 1965.
Rachetée par Albert Bourla, l’entreprise fabrique des poupées en plastique  à Hong Kong, qui sont présentées à la foire internationale du jouet de New York en 1967. Le stock est liquidé en 1970, mais l’entreprise, qui a conservé les droits d’auteur de Nancy Ann Storybook Dolls, continue à fabriquer des poupées dans les années 1970 et 1980. En 1998, Albert Bourla planifie la réintroduction d’une ligne de poupées en biscuit de 14 cm avec 52 costumes différents, en édition limitée à 7 500 poupées par costume. Elles sont conditionnées dans des boîtes bordées de simili cuir rouge en forme de livre. Seuls quatre costumes verront le jour, avant qu’Albert Bourla ne décide de vendre la société.
En 2003, celle-ci est rachetée par les sœurs Claudette Buehler et Darlene Budd, qui engagent l’artiste Dianna Effner pour sculpter une nouvelle ligne de poupées et la styliste Londie Phillips pour concevoir leurs vêtements. Cette ligne, dont les visages rappellent les poupées originales, est présentée au public en 2005.
En 2016, c’est Phyn & Aero, l’entreprise de Robert Tonner, qui rachète  Nancy Ann Storybook Dolls et confie aux deux mêmes créatrices le soin de sculpter et habiller les nouvelles poupées, dont “Sweet Violet” (photo de gauche ci-dessous) et “Le petit chaperon rouge” (photo de droite ci-dessous). En mars 2019, Phyn & Aero cesse son activité suite à des problèmes de coûts et de délais de production.


                        © Phyn & Aero                                    © Phyn & Aero

Avec plusieurs centaines de modèles de poupées Nancy Ann en circulation, les collectionneurs ont l’embarras du choix. Malheureusement, leur identification peut relever du défi, leur seul signe distinctif étant l’étiquette autour de leur poignet ou l’autocollant sur leurs vêtements. De plus, les poupées Nancy Ann ont été abondamment copiées, et se retrouvent souvent hors de leur boîte d’origine.

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L’histoire édifiante des “Frozen Charlotte”

Vous vous êtes sûrement déjà demandé d’où venait le nom de ces charmantes petites poupées anciennes rigides en porcelaine moulée représentant un bébé ou une fillette et appelées “Frozen Charlotte”. Voici leur histoire.
Charlotte était la fille d’un homme fortuné qui vivait dans une région montagneuse du Maine (États-Unis). Réputée pour sa grande beauté, ses cheveux étaient de jais et sa peau blanche comme du lys. Son père veillait à ce qu’elle ait toujours les robes les plus élégantes de la ville. La plus belle fille alentour, Charlotte était aussi la plus vaniteuse et la plus égocentrique. Elle passait chaque jour des heures devant le miroir, adorant se montrer en public pour être admirée.
Cet hiver là, Charlotte reçut une invitation à un bal du nouvel an donné dans une ville distante de près de 30 km de sa maison. Son père lui donna de l’argent afin qu’elle puisse aller en ville avec sa mère acheter une nouvelle robe pour l’occasion. Elle était en soie turquoise et luit allait à la perfection. Comme la nuit du bal approchait, la température se mit à descendre. Un vent glacial soufflait au coucher du soleil. Charlie, le cavalier de Charlotte, arriva dans son traîneau, portant une cape de laine épaisse, une écharpe et une toque en fourrure. Impatiente de partir, Charlotte courut hors de la maison, seulement vêtue de sa robe en soie. Sa mère la suivit et la supplia de se couvrir comme Charlie. Elle lui proposa même son plus beau manteau d’hiver, mais Charlotte refusa, prétextant qu’un manteau si épais n’allait pas avec sa robe en soie. Charlie la supplia à son tour de mettre le manteau, mais peine perdue, elle était aussi têtue que belle.
Ils partirent dans la venteuse nuit hivernale. Souvent, Charlie lui demandait si elle avait froid. Charlotte, grelottante, lui répondait par l’affirmative. Charlie lui proposa alors de s’envelopper dans une couverture qu’il gardait sous le siège de son traîneau. Elle rit et lui dit qu’il n’était pas question qu’elle arrive au bal en sentant comme un vieux cheval. Ils continuèrent leur chemin dans la nuit glaciale. Charlie remarqua bientôt que ses lèvres étaient presque aussi bleues que sa robe. Il arrêta le traîneau pour lui proposer son manteau : elle refusa, disant que cela allait juste froisser sa robe. En soupirant, Charlie donna une claque aux rênes et reprit sa route. Peu après, il remarqua que Charlotte était devenue étrangement silencieuse. Il la regarda et vit que sa peau était aussi pâle que la lune brillant à travers les arbres. Il la pria de se rapprocher de lui afin qu’il puisse la protéger un peu du vent en passant un bras autour de son épaule. Mais elle secoua la tête, déclarant qu’il serait inconvenant de s’asseoir si près l’un de l’autre. Puis elle sourit et affirma qu’elle commençait à se sentir réchauffée.
Charlie fouetta les rênes pour qu’ils galopent aussi vite que possible. Ils entrèrent dans la ville et il vit les lumières de l’auberge du village, devant laquelle il stoppa. Sautant du traîneau, il tendit sa main à Charlotte, et lui dit qu’ils allaient se reposer dans l’auberge et se réchauffer près du feu. Charlotte ne répondit pas et ne fit aucun mouvement. Horrifié, Charlie prit sa main dans la sienne, et découvrit qu’elle était rigide comme une statue de marbre ! Il la ramène à ses parents et se laisse mourir de chagrin.
Cette histoire est tirée d’un poème intitulé “Un cadavre va au bal”, écrit en 1843 par le journaliste et humoriste originaire du Maine Seba Smith. Le poème est lui-même inspiré d’une histoire vraie relatée dans le New York Observer en 1840. Mise en paroles et en musique par William Carter, elle devient une ballade classique du folklore américain sous différents titres : “Young Charlotte” (La jeune Charlotte), “Fair Charlotte” (La belle Charlotte) ou “Frozen Charlotte” (Charlotte gelée) :

He took her hand in his – O, God !
’Twas cold and hard as stone ;
He tore the mantle from her face,
Cold stars upon it shone.
Then quickly to the glowing hall,
Her lifeless form he bore ;
Fair Charlotte’s eyes were closed in death,
Her voice was heard no more.

Il prit sa main dans la sienne – Ô Dieu !
Elle était froide et dure comme la pierre ;
Il arracha la cape qui couvrait son visage,
Des étoiles froides y brillaient.
Puis rapidement dans la salle éclairée,
Il porta son corps sans vie.
Les yeux de la belle Charlotte étaient clos dans la mort,
Plus jamais on n’entendit sa voix.

L’histoire et la chanson furent si populaires aux États-Unis que l’on vit apparaître, produites en grande série entre 1850 et 1914 principalement en Allemagne (où elles reçoivent le nom de “Nacktfrosch” ou bébé nu), les “Frozen Charlotte”, poupées en porcelaine de moins de 2 cm à plus de 45 cm, moulées d’une seule pièce et représentées le plus souvent nues en position debout, les pieds joints, les bras fléchis aux coudes, les poings crispés vers l’avant (photos). Les plus grandes peuvent tenir debout seules sur leurs pieds, les petits modèles sont couchés sur le dos. Les principaux fabricants allemands étaient Conta & Böhme, Ritter & Schmidt et Schützmeister & Quendt.

Elles ont d’autres noms : “Pillar dolls” (Poupées pilier) ou “Solid chinas” (Porcelaines solides). Les plus petites sont parfois utilisées comme fèves dans les puddings de Noël, ou installées dans des maisons de poupées. Certaines versions (“Frozen bathing dolls” ou “Bathing babies”) sont constituées d’une partie avant en porcelaine émaillée et d’une partie arrière en grès céramique, et peuvent flotter dans une baignoire ; elles ont parfois de longs cheveux tombant jusqu’aux pieds. Enfin, les “Penny dolls” (Poupées centime), vendues pour un cent, étaient collectionnées par les enfants, qui les recevaient en récompense d’une bonne conduite.
Elles ont habituellement le corps blanc, les cheveux moulés et les yeux noirs. Certaines ont un bonnet moulé, d’autres très rares sont habillées. Elles portent parfois des bottes dorées, ou des chaussures et chaussettes moulées. Elles peuvent être en biscuit, blondes, teintes en rose ou peintes en noir et certaines, plus rares, assises, ou les mains croisées sur la poitrine, ou encore couvertes d’une chemise moulée. Elles sont souvent portées dans les bras par des poupées plus grandes. Les traits sont peints : les yeux peuvent être bruns, parfois de simples points sur le visage, ou très détaillés avec les cils, sourcils ou pupilles peints. Elles peuvent aussi être vendues dans leur cercueil (photo de gauche) ou serties dans toutes sortes d’objets : montres de poche, colliers, dés à coudre, coquilles de noix, roches, boîtes en verre, médaillons,… Les poupées représentant des garçons, reconnaissables à leur coupe de cheveux et parfois sexuées, sont appelées “Frozen Charlies” (photo de droite).

Plus encore que pour les autres poupées anciennes, leur état de conservation importe aux collectionneurs : un seul éclat diminue de manière significative leur valeur, à moins d’être un modèle recherché. Elles portent rarement des marques d’identification, numéro ou mention d’origine gravé sur le dos ou sous les pieds lorsque c’est le cas. Si vous trouvez une “Frozen Charlotte” habillée, examinez son corps nu, car les vêtements cachent souvent des défauts.
Un autre type de poupée appelé “Half-frozen Charlotte” a les bras attachés au corps par un fil qui traverse les épaules. Le corps est soit très mince, soit replet avec un ventre et des fesses rondes. Il existe aussi des modèles bon marché fabriqués dans les années 1920 et 1930, vendus comme décorations de gâteaux ou comme cadeaux de fêtes. La plupart en biscuit, parfois en porcelaine émaillée, ils étaient fabriqués en grande série en Allemagne, au Japon et aux États-Unis. En raison de leur bas coût, ils présentent souvent des traits de visage peints à la va vite qui ajoutent à leur charme. Certains, hauts de 5 cm, ont les bras moulés sur leur poitrine, d’où leur nom de poupées “main sur le cœur”. D’autres modèles sont en plomb ou en étain. D’autres encore, de 2 à 5 cm de haut, sont faits d’un biscuit blanchâtre à l’apparence de sucre, d’ou leur appellation de “Bébé en sucre”.

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