American Girl, des poupées si américaines

L’idée de départ

Tout commence en 1986, lorsque Pleasant Rowland, éducatrice, journaliste, auteure, entrepreneure et philantrope américaine, visitant le musée historique Colonial Williamsburg, a l'idée d’intéresser les petites filles à l’histoire par le biais de l’identification à des poupées illustrant certaines époques. Une autre idée est de combler la lacune de l’offre en poupées, entre les jouets pour fillettes et les mannequins de type Barbie pour adolescentes. La ligne American Girl proposée par la société Pleasant Company offre à partir de 1986, avec chaque poupée de 46 cm dépeignant une petite fille de 8 à 12 ans, un récit qui l’immerge dans une période spécifique de l’histoire des États-Unis, des livres illustrant ce récit, des vêtements pour poupées et pour enfants, des maisons et du mobilier de poupées, ainsi que de nombreux autres accessoires (moyens de transport, animaux, instruments de musique, décors de vie,…). En 1998, Pleasant Company devient une filiale de Mattel.

Les trois premières poupées

Cette ligne historique est inspirée des poupées fabriquées par Götz en Allemagne de la fin des années 1980 aux années 1990 (photos).

Bien que destinée à un public de 8 à 12 ans d’âge, elle évoque dans des termes adaptés les questions du travail et de la maltraitance des enfants, de la pauvreté, du racisme, de l’alcoolisme, de la guerre, de l’esclavage et de la cause animale. Les trois premiers personnages sortis dans la ligne, Samantha Parkington, Kirsten Larson et Molly McIntire, partagent le même moule de visage et ont des corps en mousseline blanche. Ces trois poupées font partie du programme d’archivage d’American Girl pour la préservation des personnages retirés de la vente.

  • Samantha Parkington (photo de gauche ci-dessous) est une orpheline élevée au début du XXe siècle par sa riche grand-mère Mary Edwards, qu’elle appelle familièrement Grandmary, à Mount Bedford (New York). Adoptée avec une pauvre servante du nom de  Nellie O’Malley par son oncle Gardner Edwards et sa tante Cornelia, elle est confrontée aux questions des préjugés de classe, du travail des enfants  et du suffrage des femmes.
  • Kirsten Larson (photo du centre ci-dessous), émigrante suédoise qui s’installe avec sa famille élargie dans le territoire du Minnesota au milieu du XIXe siècle, fait face aux épreuves de sa condition, comme l’apprentissage de l’anglais, l’amitié en dehors de son milieu d’origine et l’arrivée d’un bébé.
  • Molly McIntire (photo de droite ci-dessous) vit à la fin de la seconde guerre mondiale à Jefferson (Illinois). Son père est médecin militaire en Angleterre et sa mère travaille à la Croix-Rouge. Avec sa  sœur Jill et ses frères Ricky et Brad, elle est élevée par leur gouvernante Mrs Gilford et affronte les rigueurs de la guerre et les dangers du patriotisme. Elle a tout de même des loisirs, comme le patinage, les claquettes, le cinéma et les camps de vacances. Tandis qu’elle attend le retour de son père, Molly travaille au bien commun avec son amie Emily Bennett.

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Les poupées historiques

Afin d’avoir un aperçu de la variété des époques et des personnages couverts par la ligne historique American Girl, voici une présentation chronologique des poupées de cette ligne et de leurs récits.

  • Kaya’aton’my (photo de gauche ci-dessous) est une fillette de la tribu Nez Percé qui rêve en 1764 de présider un jour aux destinées de son peuple. Son récit est centré sur les traditions des amérindiens, en particulier le rôle éducatif de la tradition orale.
  • En 1774, Felicity Merriman et sa famille sont patriotes à Williamsburg (Virginie), lorsque des troubles agitent les colonies et déclenchent la guerre révolutionnaire. Mais sa meilleure amie Elizabeth Cole est loyaliste, et Felicity doit trouver un moyen de surmonter cette différence et d’apprendre ce qu’est vraiment la liberté.
  • Lorsque la guerre anglo-américaine de 1812 éclate, la famille de Caroline Abbott vit à Sackets Harbor, un village sur les rives du lac Ontario dans l’Upstate New York. Son père, constructeur de navires, a été fait prisonnier par les britanniques. Caroline a le courage de lui faire passer un message secret pour l’aider à s’évader. Elle apprend à faire de meilleurs choix en utilisant son intelligence et son cœur.
  • Petite fille tranquille du Nouveau-Mexique en 1824, Josefina Montoya (photo du centre ci-dessous) vit dans un ranch avec son père et ses sœurs. Elle s’appuie sur la tradition et les coutumes pour surmonter le chagrin d’avoir perdu sa mère. Elle aide aussi les autres à guérir.
  • Cecile Rey, fille d’un riche couple de noirs affranchis, se prend d’amitié pour Marie-Grace Gardner, une petite fille blanche dont la famille vient juste d’emménager à la Nouvelle-Orléans en 1853. Comme la fièvre jaune se répand dans la ville, les filles se portent volontaires dans un orphelinat et apprennent que la solidarité renforce les qualités qu’elles partagent déjà, la générosité du cœur et l’audace de l’esprit.
  • La guerre de sécession bat son plein en 1863, et la famille d’Addy Walker est esclave dans une plantation de Caroline du Nord. Comme la famille prépare une évasion, son père et son frère sont enchaînés et vendus. Addy et sa mère rassemblent leur courage et s’enfuient, laissant sa petite sœur et d’autres membres de la famille tandis qu’elles se dirigent vers le Nord par le chemin de fer clandestin pour rejoindre Philadelphie. Pendant tout ce temps, Addy n’abandonne jamais l’espoir de retrouver sa famille.
  • Élevée dans une famille pauvre d’immigrants juifs russes vivant dans un taudis du Lower East Side de Manhattan (New York), Rebecca Rubin ressent la pression du heurt entre tradition et assimilation. Elle rêve d’être un jour star de cinéma, et gagne de l’argent en se produisant dans la rue afin de faire venir d’autres membres de sa famille en Amérique. Ceci fâche ses parents, soucieux du comportement souhaitable d’une jeune fille bien élevée.
  • Kit Kittredge est une jeune fille dégourdie de Cincinnati (Ohio), qui essaie de trouver un moyen d’aider sa famille pendant la grande dépression des années 1930. Le père de Kit perd son travail, et leur maison devient une pension de famille pour faire rentrer un  peu d’argent. Kit écrit des histoires et prend des photos pour un petit journal, et vit des aventures avec son amie Ruthie Smithens.
  • Maryellen Larkin est la cadette d’une fratrie de six enfants à Daytona Beach (Floride) en 1954. Atteinte de poliomyélite, elle traverse les peurs et les contraintes de la guerre froide avec le soutien d’une nouvelle amie. Elle surmonte la pression du conformisme et découvre la valeur de l’individualisme.
  • Tandis que le mouvement des droits civiques prend de l’ampleur au milieu des années 1960, Melody Ellison (photo de droite ci-dessous) grandit dans une famille très unie de la communauté africaine-américaine en plein essor de Detroit (Michigan). Elle adore chanter, sous la forte influence de la maison de disques Motown Records et de ses artistes. Avec le soutien de sa famille, elle apprend à élever la voix pour l’égalité.
  • Alors qu’elle affronte le divorce de ses parents en 1974, Julie Albright se découvre une passion pour le basketball, mais constate qu’il n’existe pas d’équipe de filles. Elle lance une pétition et apprend à cette occasion que tout changement demande du courage et de la détermination.

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Personnalisation

Les récits se centrent à l’origine sur des périodes de l’histoire des États-Unis, et sont étendus en 1995 à l’époque contemporaine. Avec la gamme “American girl of today” de 1995, renommée “Just like you” en 2006, “My american girl” en 2010 et “Truly Me” en 2015, les fillettes ont aussi la possibilité d’acheter des poupées qui leur ressemblent : la gamme Truly Me™ (photo de gauche ci-dessous) offre 40 combinaisons de moules de visage, couleurs de peau, d’yeux, de cheveux et de coiffures pour une personnalisation qui propose également lunettes, appareils dentaires, boucles d’oreilles, vêtements Dress Like Your Doll™, accessoires et contenus ludiques en ligne. En 2017 est introduit le service Create Your Own Doll, permettant de créer des poupées sur mesure en choisissant la couleur des cheveux, les traits du visage, les vêtements et même la personnalité de la poupée. Chaque année est produite une édition spéciale “Girl of the year” (Fille de l’année) : en 2019 par exemple, c’est la poupée Blaire Wilson (photo de droite ci-dessous), rousse aux yeux verts, qui vit dans une ferme durable avec ses parents, veut devenir chef cuisinière, aime réunir ses parents et amis et souhaite passer plus de temps avec eux qu’avec ses terminaux numériques.

De “Hopscotch Hill School” à “Contemporary Characters”

Entre son apparition en 2003 et son retrait en 2006, la ligne “Hopscotch Hill School” est constituée de poupées de 41 cm à membres et tête en vinyl et torse en plastique dur, coudes et genoux articulés et yeux peints. Elle vise la tranche d’âge des 4-6 ans avec ses quatre personnages : Logan, Skylar (photo de gauche ci-dessous), Hallie (photo du centre ci-dessous) et Gwen (photo de droite ci-dessous).

Les “Bitty Twins”, sortis en 2003, sont des bébés jumeaux de sexes différents. Âgés au départ de deux à trois ans, en couches et pyjamas une pièce, ils prennent en 2006 un an d’âge et deviennent des enfants préscolaires habillés en pantalons, chemise et jupe (photo de gauche ci-dessous). En 2008, des modèles africain-américain, asiatique et hispano-américain sont disponibles.
En 2013 est introduite la ligne “Bitty Baby”, poupons de 38 cm à tête et membres en vinyl, destinés aux enfants à partir de trois ans (photo de droite ci-dessous). Dotés de différentes couleurs de peau et d’yeux, ils sont accompagnés de nombreux vêtements et accessoires : culotte bouffante, robe, chaussures et chapeau, couverture,  sac à dos, ourson, biberon,…

La ligne historique est retravaillée en 2014, en particulier au niveau des vêtements, et rebaptisée BeForever, avec l’introduction du thème du voyage dans le temps d’une petite fille d’aujourd’hui qui rencontre une fillette d’autrefois.
En 2016, les “Bitty Twins” sont arrêtés et remplacés par  la ligne WellieWishers (photo de gauche ci-dessous), des poupées de 37 cm à membres et tête en vinyl et torse en plastique dur,  visant un public âgé de cinq ans et plus, intermédiaire entre le public des “Bitty Baby” et celui des American Girl classiques. Ainsi nommées parce qu’elles portent des “Wellington boots” (bottes en caoutchouc), les cinq fillettes de la ligne ( Willa, Camille, Kendall, Emerson et Ashlyn) ont des personnalités et des centres d’intérêt distincts, mais partagent les mêmes valeurs d’amitié et de compréhension mutuelle.
Début 2017, American Girl lance une nouvelle ligne de grandes poupées de 46 cm appelée “Contemporary Characters” (personnages contemporains), qui comprend : Tenney Grant, future chanteuse et compositrice de country âgée de 12 ans ;  Logan Everett, jeune batteur de Tenney (photo de droite ci-dessous) ; Z Yang, américaine d’origine coréenne, qui aime réaliser des vidéos d’animation en volume avec ses poupées American Girl. Ces trois poupées font partie du programme d’archivage d’American Girl pour la préservation des personnages retirés de la vente.

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Les mini-poupées

Pour chaque personnage historique depuis 1995 et pour chaque fille de l’année depuis 2013, American Girl commercialise une reproduction fidèle en version miniature. Hautes de 16,5 cm, ces versions sont présentées comme des poupées de leurs grandes  sœurs originales ou comme des poupées à part. De moindre qualité que les poupées originales de 46 cm, elles en partagent toutefois les caractéristiques essentielles telles que la forme du corps, la couleur des cheveux ou les vêtements. Chaque mini-poupée est accompagnée d’un mini-livre qui est une version abrégée du récit de sa grande  sœur.
Jusqu’en 2000, les mini-poupées possèdent un corps en tissu bourré, une tête et des membres articulés en vinyl, une perruque collée et des yeux en verre. De 2000 à 2014, elles possèdent des yeux peints et des cheveux implantés. À partir de 2014, elles sont entièrement en vinyl, ce qui affecte la constitution du cou et des épaules, la forme générale du corps et le port des vêtements, le mouvement et la souplesse des membres, et le ressenti de la poupée dans la main (photos ci-dessous).

Des personnages particuliers

Il faudra attendre 2017 pour voir apparaître le premier personnage de garçon dans la ligne American Girl. C’était, selon  Julie Park, directrice des relations publiques de la ligne, “la demande numéro un depuis très, très, très longtemps”. La poupée représente le jeune batteur de country Logan Everett (voir ci-dessus).
C’est ensuite au tour de Z Yang, première poupée de type asiatique, de faire son entrée dans la ligne American Girl. Le débat sur les raisons de l’introduction de cette petite américaine d’origine coréenne, humanisme ou mercantilisme, reste ouvert.
Puis American Girl introduit sa première poupée hawaiienne Nanea Mitchell, dont le personnage grandit pendant la deuxième guerre mondiale. Pour Katy Dickson, présidente de l’entreprise, l’énergie, le sens des responsabilités et du bien commun -“kokua” en hawaiien- de Nanea sont un exemple donné à toutes les petites filles pour surmonter les obstacles de la vie.
La “fille de l’année 2018” est la poupée Luciana Vera, qui à 11 ans rêve d’être la première personne à poser les pieds sur Mars. La NASA explique sur son site qu’elle a conclu un accord avec American Girl pour “partager l’excitation de l’espace avec le public, et en particulier pour donner envie aux jeunes filles et garçons de s’intéresser à la science, à la technologie, à l’ingénierie et aux mathématiques”.

Le rêve des petites filles

Un nouveau concept voit le jour à Chicago en 1998, le complexe “American Girl place” qui, comme le dit le slogan, est plus qu’un simple magasin (“more than just a shop”). En effet, ici on peut :

  • acheter toutes les gammes de poupées, ainsi que leurs vêtements, accessoires, mobilier et livres associés
  • se faire photographier avec sa poupée
  • dîner dans un restaurant équipé de fauteuils pour poupées
  • se rendre  au salon de beauté “American Girl Salon”, où les petites filles et leurs poupées peuvent se faire coiffer, manucurer, percer les oreilles, ou avoir des soins du visage
  • créer une poupée en choisissant ses cheveux, le teint de sa peau, la couleur de ses yeux ou encore ses accessoires. Afin de refléter les problèmes et les maladies que peuvent avoir les jeunes filles, on propose des poupées sans cheveux, avec des appareils auditifs, des appareils dentaires,…
  • découvrir l’hôpital des poupées, un espace consacré à la restauration et au nettoyage des poupées
  • organiser des événements spéciaux, comme des cours de cuisine, fêtes ou anniversaires
  • se faire conseiller pour ses achats

American Girl ouvre de nombreux magasins et boutiques aux États-Unis, au Canada et au Mexique, le dernier en date étant le grand magasin de Rockefeller Plaza à New York en novembre 2017, sur plus de 3 700 m² (photo).

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Controverses

Une critique récurrente des poupées American Girl concerne leur coût élevé, plus de 120 $ pour la poupée seule. Si on y ajoute le prix moyen des vêtements, des accessoires de base et d’un repas à l’American Girl place, la facture dépasse 600 $.
Certains aspects de l’histoire des personnages provoquent aussi la polémique. Ainsi, des observateurs s’interrogent sur le fait qu’Addy, premier personnage africain-américain de la ligne, soit présentée comme une esclave alors que Cecile Rey, second personnage noir, est une fille aisée de la Nouvelle-Orléans.
En 2005, des habitants du quartier de Pilsen à Chicago contestent un passage du livre associé à la poupée hispano-américaine Marisol, dans lequel ce quartier est faussement présenté comme dangereux.
La même année, des militants catholiques pro-vie reprochent le don par American Girl de fonds à l’association  de soutien aux jeunes femmes en difficulté Girls Inc., qui promeut le droit à l’avortement et l’acceptation de l’homosexualité.
Le magasin “American Girl place” de New York est le siège en 2006 d’un conflit du travail impliquant l’AEA (Actors Equity Association), et entraînant la fermeture en 2008 de tous les théâtres associés aux magasins American Girl.
La sortie en 2009 de l’édition limitée de Gwen, poupée sans-abri, est sujette à controverse : vue au départ comme un bon moyen de sensibilisation, on lui reproche rapidement son caractère dérangeant pour des enfants, sans compter la nature choquante de son prix élevé en regard de la misère des personnes qu’elle représente. Une femme SDF s’indigne même du fait que cette poupée n’ait pas été conçue pour lever des fonds d’aide aux sans-abris. Enfin, elle risque d’envoyer le mauvais message aux enfants, à savoir l’acceptation du sort des sans-abri.
En mai 2014, une campagne de critiques sur les réseaux sociaux vise le retrait de quatre personnages de la collection historique dont deux représentent des minorités : l’africaine-américaine Cecile Rey (photo de gauche ci-dessous) et la sino-américaine Ivy Ling (photo de droite ci-dessous). Une pétition du groupe activiste 18MillionRising.org circule pour demander le remplacement d’Ivy Ling. Les critiques visent également les récits des poupées contemporaines, accusés de manquer de profondeur par rapport à ceux des poupées historiques.

De vives attaques répondent à l’annonce en 2017 de doter les poupées contemporaines et certaines poupées historiques de petites culottes permanentes cousues. La réaction du public aux sous-vêtements permanents -le premier changement majeur depuis l’introduction de la couleur chair en 1991-, accusés de pénaliser la personnalisation et de dégrader la qualité de la marque, est fortement négative. L’entreprise reviendra sur cette décision.

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Le coin des fans

Les vidéos YouTube mettant en scène des poupées American Girl sont de plus en plus regardées, et une communauté AGTube (American Girl sur YouTube) a vu le jour. La communauté des amateurs de poupées créant et téléchargeant des vidéos d’animation en volume, et plus précisément certains membres éminents de cette communauté, ont fait l’objet de reportages et d’interviews du site de la BBC News. À côté de ces animations et des vidéos musicales de musique populaire, les reportages couvrent des sujets récurrents tels que la cyberintimidation et autres problèmes fréquents chez les enfants ou les adolescents, ainsi que les questions de personnalisation, de photographie et de déballage des poupées.
D’autres réseaux sociaux tels que Facebook ou Instagram servent de plate-forme pour les fans, engendrant par exemple la communauté AGIG (American Girl InstaGram), qui poste sur ce réseau social des photos de poupées de ses membres. Cette communauté, constituée essentiellement de jeunes filles de 12 à 18 ans, compte également des garçons et des adultes. Les adolescentes d’AGTube ou d’AGIG rencontrent physiquement d’autres fans dans les magasins American Girl, rencontres parfois organisées par l’entreprise elle-même.

Les raisons d’un succès

Outre l’abondance des produits et services proposés, le succès des poupées American Girl tient à la synergie entre storytelling et expérientiel.  Une visite sur le site officiel de la ligne révèle une offre de produits et de services qui fait le tour de tout ce que peut proposer le marché : poupées et vêtements de poupées pour toutes activités et occasions ; accessoires nombreux et variés, pour la poupée et sa petite propriétaire ; mobilier artisanal, pour recréer le décor des récits ; livres, DVDs et magazine bimensuel destiné aux 8-14 ans ; vêtements pour les petites filles (gamme “Dress Like Your Doll”, voir plus haut) ; produits de soin et de bain pour les fillettes ; hôpital pour poupées.
Pour le storytelling, chaque poupée incarne un personnage ancré dans l’histoire américaine :  Addy, petite esclave de la guerre de sécession en 1863, Josefina, fillette du ranch du nouveau Mexique en 1824, Kaya, indienne de la tribu des Nez Percé en 1764, Kit Kittredge, jeune fille de la grande dépression des années 1930, et bien d’autres. Elles ont leur propre univers familial et social, leur histoire personnelle enracinée dans leur époque.
Mais l’innovation du marketing de la ligne vient de l’association de cette narration avec l’expérience proposée aux petites filles dans les magasins American Girl, où elles peuvent, en plus d’acheter leur poupée préférée avec ses vêtements et accessoires, recevoir des soins de beauté, dîner au restaurant (photo ci-dessous), créer une poupée à leur image, organiser une fête,…

C’est ce qui explique la progression de la marque pendant 30 ans, cas très rare dans le secteur du jouet, et ceci en dépit des critiques répétées sur le prix élevé des poupées et l’éloignement des débuts historiques et éducatifs pour aller vers une production en grande série de poupées représentant des personnages modernes. Quelques chiffres relevés en 2016 illustrent ce succès :

  • Création de 47 personnages uniques
  • Publication de 905 titres de livres, dont 157 millions d’exemplaires ont été vendus
  • 1 million de repas servis dans les restaurants American Girl
  • 94 millions de visiteurs dans les magasins depuis 1998, date de l’ouverture du premier d’entre eux à Chicago
  • 125 millions de dollars de dons à des associations caritatives s’occupant d’enfants
  • 11 millions de téléchargements de catalogues et d’applications depuis 2011
  • American Girl Magazine : 25 années de parution, 150 numéros et 14 numéros spéciaux
  • une communauté de fans de 2 millions de membres
  • 400 prix et récompenses professionnels
Un lent déclin

Mais le ciel s’assombrit pour Mattel en général et American Girl en particulier. Pour la première fois en 2017, Mattel suspend le versement des dividendes aux actionnaires, en particulier suite à une chute spectaculaire de 21 % des ventes de sa filiale American Girl Brands par rapport à 2016 (chiffre d’affaires de 452 millions de dollars en 2017), due selon le géant du jouet à une baisse des revenus des licences et des canaux de distribution externes.
Les analystes pointent quant à eux le manque d’investissement dans les régions à forte opportunité de croissance (Asie, Amérique latine et Moyen-Orient), le déplacement des acheteurs vers les jouets bon marché, et le développement des jeux sur mobile : une étude de 2017 a montré que les enfants de 8 ans et moins passent presque 50 minutes par jour avec leur smartphone ou leur tablette, contre 5 minutes en 2011 ; en 2017, le marché  des jeux vidéo et en ligne représente plus de la moitié du marché des jeux et jouets.
Plus grave, les ventes de la ligne American Girl ont décliné continuellement de 10 % depuis 2014, autre coup dur pour Mattel avec la perte en 2016 des licences des princesses Disney au profit de son concurrent Hasbro. Il n’est pas sûr que l’introduction du garçon Logan Everett dans la ligne suffise à redresser les ventes. Mattel devra plutôt compter sur son plan d’économies de 650 millions de dollars sur deux ans et sur son partenariat avec NetEase, deuxième éditeur chinois de jeux vidéo, pour le développement de jeux sur mobile et de contenus numériques associés en particulier aux marques Barbie et Fisher-Price.

Épilogue

Si les poupées American Girl ne rapportent plus grand chose à leur fabricant, elles peuvent faire de bonnes surprises à leur propriétaire. En effet, dans les derniers mois de 2018, des poupées se sont vendues en ligne entre 1 150 et 5 400 $ chacune. Les plus demandées datent de l’époque Pleasant Company, avant le rachat par Mattel en 1998, ont été produites en édition limitée ou portent une signature.
Mais attention ! l’état de conservation et l’emballage d’origine font toute la différence. Celle qui peut partir à plus de 2 000 $ si elle est en bon état dans son emballage d’origine ne se vendra que 100 $ en assez bon état sans emballage. La Samantha ci-dessous (photo de gauche) s’est vendue récemment 400 $sur eBay.  MIB avec ses accessoires d’origine en parfait état, elle pourrait valoir dix fois plus. Le couple Felicity Merriman et Elizabeth Cole ci-dessous (photo de droite) est parti à 1 600 $.

Selon Lori Verderame, experte en antiquités, la cote des American Girl a grimpé ces deux dernières années, particulièrement en raison de leur référence à des périodes de l’histoire américaine.

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Sources de l’article
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Les poupées Bratz, mignonnes ou sulfureuses ?

Une ligne de poupées à succès

Depuis leurs débuts il y a une vingtaine d’années, ces poupées “ethniquement ambiguës”, comme les qualifie un cadre de la société MGAE (Micro-Games America Entertainment) qui les produit, sont devenues célèbres pour leur style streetwear, leurs grands yeux en amande, leur tête surdimensionnée à l’instar des Pullip et des Blythe, et leurs  lèvres pulpeuses et brillantes. Les “Girls with a passion for fashion” (Filles avec une passion pour la mode), pour reprendre la fameuse devise de la franchise Bratz, influencées par la culture pop, sont aussi connues pour leurs cheveux implantés longs et faciles à coiffer, leur goût pour l’amusement et leurs nombreux accessoires, qui reflètent un style de vie agréable (et quelque peu matérialiste). Avec les poupées sont également disponibles des coffrets de jeu autour de diverses ambiances : centre commercial, discothèque, karaoké, bar à sushis, spa, café rétro et limousine.
Le caractère “politiquement correct” de la gamme de départ a peut-être aussi contribué à leur succès : on y trouve la poupée européenne Cloe, l’africaine-américaine Sasha, la latino Yasmin et l’asiatique Jade (photo, de gauche à droite : Jade, Sasha, Cloe et Yasmine).

Sorties en mai 2001 et vendues comme un groupe d’amies de caractères différents mais de même valeur humaine, leur popularité croît rapidement à partir de Noël de cette même année. Les quatre modèles ont été repris dans la majorité des lignes de poupées de chaque édition, et constituent les personnages principaux de l’univers des Bratz. Ces poupées ont reçu plusieurs prix de l’industrie du jouet, dont le jouet de l’année de l’influente TIA (Toy Industry Association). Elles sont commercialisées dans presque 70 pays.

Les quatre Bratz d’origine

Cloe est une blonde aux yeux bleus, fille de Polita, jeune sœur de Sonya, sœur aînée de Colin et Isa, et petite amie de Cameron. Voici comment elle se présente sur le site officiel des Bratz : “Salut je suis Cloe mais mes amis m’appellent Angel parce que mon look n’est pas de ce monde ! ma passion dans la mode c’est le glamour, avec des vibrations rock et athlétiques. Je rêve en grand et je suis un peu théâtrale !”
Sasha, grande sœur de Zama, a les yeux verts et les cheveux noirs. “Hey, je suis Sasha mais mes amis me nomment Bunny Boo car je saute en rythme ! ma passion dans la mode c’est le streetwear chic avec des influences hip-hop. Je m’éclate sur les tubes les plus chauds du moment et je les partage avec mes amis !”
Fille de Portia, Yasmin a un grain de beauté sous l’œil gauche, des yeux marron et des cheveux bruns. “Salut je suis Yasmin mais mes amis m’appellent ‘Belle princesse’ car j’assure de façon royale ! ma passion dans la mode c’est le style direct, les classiques et la liberté d’esprit. Je suis peut-être un peu timide, mais mon style majestueux règne sans partage !”
Jade a les cheveux noirs et les yeux vert-noisette. Elle se présente ainsi : “Salut c’est Jade, mes amis m’appellent Kool Kat car je lance férocement les tendances  ! ma passion dans la mode c’est oser avec audace et faire tourner les têtes. Mes amies viennent me voir pour les looks les plus chauds, je n’ai jamais peur d’affirmer mon style unique !”

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Une gamme impressionnante

Le grand succès rencontré par ces quatre têtes d’affiche permet à MGA d’étendre son offre de 2003 à 2007 à de nombreuses nouvelles lignes de poupées : Bratz Kidz (poupées de 15 cm, versions enfantines des Bratz adolescentes), Bratz Boyz (petits amis des Bratz girls, photo de gauche ci-dessous), Bratz Boyz Kidz (versions enfantines des Bratz Boyz), Lil’ Bratz (versions miniature de 11 cm des Bratz originales), Lil’ Boyz (versions miniature des Bratz Boyz), Bratz Babyz (versions bébés de 13 cm des Bratz girls, avec couche-culotte et biberon, photo de droite ci-dessous),… Des produits dérivés sont également proposés : ligne de vêtements pour filles, film, série télé, série web d’animation en volume, albums de musique, DVDs et jeux vidéo.

Les poupées Bratz ont la tête et le corps en vinyl dur, les bras et les jambes étant faits d’un vinyl souple pliable. Une caractéristique singulière : les pieds se changent en bloc avec les chaussures, ce qui n’est pas très réaliste mais évite la dispersion habituelle des petits souliers.
En 2007, les Be-Bratz personnalisables font leur apparition. Avec une clé USB, l’acheteur choisit une poupée en ligne, la baptise, et crée une page sociale en ligne. Des jeux permettent de gagner des accessoires. En 2010, pour fêter le 10e anniversaire de la franchise, MGA sort deux collections rétro “Bratz party” (photo de gauche) et “Talking Bratz” (photo de droite), distribuées dans les grands magasins Walmart, Toys “R” Us et Target, et dix nouveaux personnages de filles.

La gamme des Bratzillaz, les cousines sorcières des Bratz, fait son apparition en 2012 sous le logo “House of witchez” (photo ci-dessous), pour se distinguer de la gamme des “Monster high” du concurrent Mattel. Chaque personnage des Bratz girls a une homologue Bratzillaz : ainsi, la voyante Yasmina Clairvoya est la cousine de Yasmin ; la magicienne Cloetta Spelletta est la cousine de Cloe ; Sashabella Paws, qui parle aux animaux, est la cousine de Sasha ; Jade J’Adore guérit les cœurs blessés et a pour cousine Jade,…

En 2013, Bratz opère des changements importants : nouveaux logo, slogan, corps à bras articulés et ligne de vêtements. Les nouveaux corps bénéficient à quelques personnages seulement : les quatre poupées originales, ainsi que Meygan, Fianna, Shira, Roxxi et Phoebe.
Suite à une baisse de popularité, aux déboires juridiques avec son concurrent Mattel (voir plus bas) et à une commémoration mal organisée du 10e anniversaire des Bratz, MGA annonce en 2014 une pause d’une année aux États-Unis pour refonte de la marque Bratz. Cette opération repose sur plusieurs éléments : l’allègement du maquillage ; l’accent mis sur les nouvelles technologies et les réseaux sociaux, avec la création de T-shirts marqués “Selfie”, d’une application Bratz pour smartphones et la diffusion de “webisodes” Bratz sur YouTube ; le lancement de la ligne “Music vibes” autour du thème des différents genres de musique moderne, avec une tente de festivalier comme accessoire ; le partenariat avec la boutique de mode new yorkaise Vfiles pour la production d’une poupée en édition limitée (photo de gauche) ; la reproduction de célébrités, comme la peintre Frida Kahlo (photo de droite).

Rien n’y fait, c’est un échec, et une nouvelle pause est décidée pour 2016 avant le retour à l’automne 2018 de la ligne Bratz Collector, reprenant les fondamentaux de la marque et conçue par le célèbre illustrateur et designer britannique Hayden Williams.
Leur taille ? ce ne sont pas des grandes poupées, 25 cm, ce qui permet de bien sentir leur aspect charnu lorsqu’on les a en main. Il a aussi existé, comme mentionné plus haut, les versions de poche Lil’ Bratz (photo de gauche), ainsi que des poupées plus grandes (30 cm) lancées en 2013 et 2014 pour élargir l’offre en vêtements et améliorer leur posabilité. En 2015, retour aux 25 cm, avec de nouveaux moules de tête et de corps et l’introduction de Raya, poupée aux yeux bleu ciel, cheveux miel et teint hâlé (photo de droite).

Ces nouveaux moules sont mal reçus par le public, qui constatent la disparition de leur côté provocateur et le mauvais ciblage trop normatif de MGA. En réponse à ces critiques, la société marque une pause dans la production et annonce le retour des Bratz à l’automne 2018 et la collaboration avec  Hayden Williams.

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Controverses

Mais revenons en arrière pour aborder les nombreuses controverses dont les Bratz sont l’objet depuis leur création. Tout d’abord, on a critiqué leur maquillage chargé, leurs attitudes provocantes et leurs expressions de top-modèles blasées. Puis leurs vêtements trop moulants et leur obsession de fashionista. Notons toutefois au passage que certaines mères de famille, trop heureuses de voir leurs petites filles jouer à la poupée jusqu’à l’âge de 12 ans si ce n’est plus, sont prêtes à passer sur ces inconvénients !
Les Bratz déclenchent parfois des réactions de rejet violentes, témoins les définitions de l’Urban dictionary, probablement écrites par des parents puritains, misogynes ou sexuellement frustrés, dont nous reproduisons une entrée de 2005 : “Habillées comme des salopes, elles visent les enfants de 8 à 11 ans. Il existe aussi une ligne de “Bébés Bratz”. Elles ont pompé sur Barbie, et favorisent la promiscuité sexuelle de nos enfants. Merci, Bratz. Sans vous, nous n’aurions pas de filles de 11 ans enceintes ou botoxées”.
Une autre question soulevée est la proposition de canons de beauté irréalistes. Mais quel enfant ne se rend pas compte que l’anatomie des Bratz est caricaturale, et souhaite un nez inexistant, des pieds qui se déboîtent avec les chaussures, voire une tête deux fois trop grosse ?
L’association de parents “Dads and daughters” (papas et filles) s’est déclarée outrée par la sortie de la collection “Bratz secret date” (rendez-vous secret). Le coffret contenait une fille Bratz visible et un garçon Bratz caché dont on voyait juste un dessin de dos (photo). Une fenêtre montrant les pieds du “Boyz” mystère fournissait un indice sur l’identité du garçon, particulièrement intéressant dans la quête du rare Bryce, présent seulement dans un coffret sur 24. L’association se plaignait du message négatif envoyé aux jeunes filles forcées de grandir trop vite, en valorisant le fait de s’échapper de la maison pour un rendez-vous arrangé avec un parfait inconnu. Fait aggravant selon elle, la bouteille et les flûtes à champagne comme accessoires, qui se sont avérées être en fait des bouteilles de smoothies. Sommée de retirer la collection du marché, MGA tint bon et poursuivit la vente de sa collection rebaptisée “Blind date” (rencontre avec un inconnu).

Les Bratz ont été comparées à des “chongas”, terme que les latino-américains emploient pour désigner des jeunes filles vulgaires, brutales et stupides.
En 2007, des questions sont soulevées par le groupe de travail sur la sexualisation des filles de l’American Psychological Association (Association américaine de psychologie), quant à l’image corporelle et au style de vie véhiculés par les poupées Bratz. Dans un rapport critiqué pour son manque de preuves factuelles, ce groupe souligne la question de la prétendue sexualité adulte des Bratz. Au Royaume-Uni, un de leurs porte-parole argue du fait que ces poupées ciblent et sont achetées par les 10-18 ans et qu’elles mettent de manière évidente l’accent sur la mode et l’amitié et non pas sur la sexualité. Il cite pour leur défense le Dr Brian Young de l’université d’Exeter : “les parents peuvent se sentir gênés mais je ne pense pas que les enfants voient les poupées comme sexy. Ils pensent juste qu’elles sont jolies”. Plus dur, Isaac Larian, le PDG de MGA, déclare à la BBC que le rapport est un tas d’ordures et que ses auteurs sont irresponsables.
Accusation plus grave maintenant. Le National Labor Committee (Commission nationale du travail), devenue depuis  Institute for Global Labour and Human Rights (Institut pour le travail et les droits humains dans le Monde), est une ONG dénonçant les abus des multinationales employant des travailleurs dans les pays en développement. En décembre 2006, elle annonce que les personnes fabriquant des poupées Bratz dans une entreprise chinoise travaillent 94 heures et demie par semaine, alors que l’usine ne paie que 0,515 $ de l’heure. Le coût de production d’une poupée, vendue au détail entre 9,99 et 22,99 $, est de 0,17 $. Les travailleurs, soumis à des quotas de production sévères, ne bénéficient pas d’arrêts maladie payés et d’autres avantages sociaux. Ils se voient distribuer des aide-mémoire mensongers sur leurs conditions de travail lors des inspections du droit du travail faites par les entreprises clientes. Isaac Larian, nie les faits en arguant que sa société ne connaît pas l’entreprise chinoise incriminée et qu’elle ne contracte qu’avec des entreprises respectant le droit du travail.

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Le procès en jouets du siècle : Bratz contre Barbie

Depuis 2005, l’industrie du jouet est le lieu de la plus formidable bataille judiciaire qu’elle ait jamais connu : le cas Bratz-Barbie, dont les multiples rebondissements à coups de milliards de dollars ne sont pas encore aujourd’hui terminés. Pour comprendre les enjeux de cette affaire, il faut en remonter à la genèse.
Noël 2001 : les quatre modèles originaux des poupées urbaines et multiculturelles à la tête surdimensionnée, aux lèvres rouges pulpeuses, immenses yeux en amande, fesses rebondies et petit ventre plat ressortant d’un petit haut étroit, bref les Bratz sorties en mai que sont Cloe, Sasha, Yasmin et Jade, font un carton. Elles sont la marque de poupées la plus vendue en France, Espagne, Italie et Israël et ne tardent pas à supplanter leur rivale Barbie dans ses fiefs des  États-Unis et du Royaume-Uni.
Mais ce n’est qu’un début : au Noël 2003, les ventes mondiales des Bratz et produits dérivés s’élèvent à 1 milliard de dollars ; en 2006, ce chiffre fait plus que doubler, 125 millions de poupées sont vendues à travers le Monde, et Bratz détient 40 % de parts du marché mondial des poupées mannequins, Barbie possédant le reste avec 3 milliards de dollars de ventes, mais poursuivant le déclin de 2005 (18 % de chute des ventes mondiale, attribuée en grande partie à la concurrence des Bratz).
C’est dans ce contexte de concurrence acharnée qu’entre en scène Carter Bryant, designer de talent ayant travaillé pour la ligne des Barbie de 1995 à 1998, puis de 1999 à 2000, et, c’est important pour la suite, titulaire d’un contrat de travail cédant à son employeur Mattel (le fabricant de Barbie)  tous les droits sur ses créations. Bryant rejoint MGA en octobre 2000, comme de nombreux designers de Mattel, dont la créativité était étouffée chez ce numéro un mondial du jouet. On sait qu’il a montré à Isaac Larian, le PDG de MGA, les dessins de ce qui deviendra la ligne des poupées Bratz. Mais le moment exact de cette présentation, directe ou indirecte, avant ou après son arrivée officielle à MGA, sont des questions et des éléments importants de preuves qui vont alimenter le procès en jouets du siècle : Mattel contre MGA Entertainment. Entre 2004 et 2008, année du grand procès, des actions multiples ont été intentées par les deux protagonistes. Le combat entre les deux géants du jouets – MGA étant devenu en quelques années un géant grâce au succès des Bratz – a été impitoyable.

Une longue série d’actions en justice

La première action, intentée Par Mattel  en avril 2004 contre Carter Bryant et dix autres accusés non nommés, a pour chefs d’accusation la rupture illégale de contrat, les violations d’obligation fiduciaire et de devoir de loyauté, ainsi que la conversion de titres et l’enrichissement illégaux. Pour le profane en droit des affaires, Mattel accuse Bryant d’avoir livré ses dessins à MGA alors qu’il est encore employé chez Mattel, violant ainsi son contrat de travail. Bryant contre-attaque en arguant de l’illégalité et de la trop grande couverture territoriale de la clause de confidentialité de son contrat. Mattel sort alors la grande artillerie et amende dans un document de 58 pages son action pour inclure MGA et son PDG, accusés d’avoir “intentionnellement volé non seulement la propriété de Mattel, comme les dessins des Bratz, leurs prototypes et documents associés, mais aussi un grand ensemble de secrets commerciaux et autres informations confidentielles, qui constituent l’infrastructure intellectuelle de Mattel”. En décembre 2006, Issac Larian réplique dans le journal “New Yorker” : “Cette poursuite judiciaire prouve simplement que Mattel est aux abois. Ils vivent dans un monde imaginaire. Ils aimeraient bien posséder Bratz… Nous continuerons à les battre sur le marché à la bonne vieille manière américaine, en innovant, en améliorant notre marketing et en augmentant nos ventes”.
Entre-temps, MGA intente une action contre Mattel en avril 2005, l’accusant d’avoir copié les Bratz avec sa ligne de poupées Barbie “My scene”. MGA ajoute même à cette occasion le mot “seules” au célèbre slogan des Bratz “Les seules filles avec une passion pour la mode”, pour bien les distinguer des Barbie avec lesquelles les consommateurs non avertis les confondent souvent. MGA accuse aussi Mattel de s’être engagée dans une concurrence déloyale et une atteinte à la propriété intellectuelle, cherchant à “éliminer de force”  MGA par des actions répétées de “copies en série”. “Barbie ne se comporte pas bien avec la concurrence”, affirme MGA, et “doit apprendre à partager”.
En juillet 2008, un jury fédéral estime que Bryant était bien employé de Mattel lorsqu’il crée les Bratz, malgré la dénégation de MGA et l’affirmation de Bryant selon laquelle il avait conçu les Bratz entre deux périodes d’emploi chez Mattel. Le jury estime également que MGA et son PDG sont responsables de l’appropriation de biens de Mattel et d’avoir intentionnellement enfreint aux devoirs contractuels de Bryant envers Mattel. En août 2008, Bratz est condamnée à payer seulement 100 millions de dommages et intérêts sur les 500 réclamés par Mattel, en raison du fait que seule la première génération de Bratz était concernée par l’atteinte à la propriété de Mattel.
Autre péripétie de ce procès fleuve, l’artiste Bernard Belair assigne en justice Mattel et MGA en octobre 2009 pour violation du droit d’auteur sur ses dessins de jeunes femmes avec “de grosses têtes, des yeux ovales, de petits corps et de grands pieds” exécutés pour le chausseur Steve Madden, dont Carter Bryant avoue s’être inspiré. En 2011, sa plainte est rejetée au motif que “Belair ne peut pas monopoliser le concept abstrait d’une femme chic et attirante à la tête exagérément grosse et aux longs membres”.
En décembre 2009, un jugement en appel suspend l’ordonnance de rappel des produits Bratz, autorisant MGA à continuer leur distribution commerciale, jusqu’à la décision finale de la cour d’appel. En juillet 2010, cette cour déclare que MGA détient la propriété de la franchise Bratz, rejetant ainsi la décision antérieure du tribunal d’instance, qui ordonnait à Bratz de céder à Mattel l’intégralité de sa marque et de ses droits d’auteur.
En janvier 2011, Mattel et MGA retournent devant la justice pour reprendre leur bataille sur la propriété effective de Bratz, assortie d’accusations de vol de secrets commerciaux de la part des deux camps. En février, MGA réclame un milliard de dollars à Mattel pour tentative de monopole du marché américain de la poupée. Citant des violations de la loi anti-trust Sherman, MGA allègue d’une stratégie procédurière délibérée de Mattel pour l’amener à la faillite, ainsi que de pratiques d’intimidation auprès des fournisseurs et des revendeurs. En avril, un jury fédéral énonce un verdict en faveur de MGA, et en août de la même année Mattel est condamnée à payer 310 millions de dollars pour vol de secrets commerciaux, fausses allégations et émoluments d’avocats, somme divisée par deux en appel en 2012. La cour d’appel rejette également la tentative de Mattel d’ouvrir un nouveau procès. Cependant, la plainte de MGA pour tentative de monopole de Mattel est rejetée en avril 2012.
En juillet 2012, MGA poursuit la chanteuse Lady Gaga et lui réclame 10 millions de dollars pour avoir “délibérément retardé la sortie d’une poupée à son effigie”.

Épilogue

Sentant que le long litige entre les deux parties, dans lequel elles avaient  déjà englouti des centaines de millions de dollars en amendes, risquait de s’éterniser, le juge Kozinski leur conseille de “prendre exemple sur leur jeune cible commerciale, et de jouer gentiment”, ce qui n’arriva jamais.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Mattel maintient son accusation de concurrence déloyale de MGA avec la complicité de Carter Bryant. Les deux parties font la navette entre le tribunal et l’extérieur, s’affrontant sur le détournement de secret commercial, pour lequel MGA poursuit Mattel en 2014 et lui réclame 1 milliard de dollars, ainsi que sur d’autres questions de propriété intellectuelle. 15 ans après la première action intentée par Mattel, la question brûlante reste posée : qui possède Bratz ?

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