Introduction
La poupée BJD (de l’anglais “Ball-Jointed Doll”) comporte des articulations sphéroïdes (en anglais “ball and socket joint”), terme emprunté à l’anatomie et désignant un type d’articulation mobile appelé énarthrose (faisant partie de la famille des articulations synoviales ou diarthroses, voir dessin ci-dessous), où la surface en forme de balle d’un os se loge dans la dépression en forme de tasse d’un autre os ; ces articulations permettent des mouvements dans les trois dimensions de l’espace.
Diarthroses : 1. énarthrose 2. condylienne 3. articulation en selle 4. trochléenne 5. articulation trochoïde
L’usage contemporain, particulièrement lorsqu’on emploie les sigles BJD ou ABJD (Asian BJD), se réfère aux poupées modernes originaires d’Asie à articulations sphéroïdes. Elles sont coulées en résine synthétique polyuréthane, un plastique dur et dense, les différents éléments de la poupée créés séparément étant maintenus ensemble grâce à des élastiques épais qui passent à l’intérieur du corps et des membres. Cet assemblage permet d’imiter presque tous les mouvements humains.
BJD Super Dollfie de 58 cm
Les BJD sont majoritairement produites au Japon, en Corée du sud et en Chine. On les décrit comme réalistes et influencées par l’anime. Elles mesurent communément environ 60 cm pour les grandes poupées (“super”, photo ci-dessus), 40 cm pour les minis (“mini”), 20 cm pour les jeunes (“young”), et jusqu’à 10 cm pour les minuscules (“tiny”).
La BJD n’est pas un jouet, c’est une poupée artistique aussi fragile qu’une poupée de porcelaine, destinée aux adultes collectionneurs ou qui désirent personnaliser leurs poupées. En effet, les BJD sont totalement personnalisables : tête, mains (photo), pieds, perruque, yeux (souvent en verre ou acrylique), maquillage, qui demande une plus grande maîtrise en raison de l’emploi de textures (peinture acrylique, pastel, aquarelle,…) et de vernis spéciaux qui sont assez doux pour ne pas abîmer la résine.
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BJD Ringdoll mains
Histoire
Les poupées articulées remontent au moins à 200 ans av JC, avec les poupées en argile ou en bois de la Grèce et de la Rome antiques. L’ère moderne en Europe occidentale des poupées à articulations sphéroïdes a débuté à la fin du XIXe siècle, époque à laquelle les fabricants français et allemands produisirent jusqu’au début du XXe siècle des poupées en biscuit dotées d’articulations en composition mesurant entre 15 et 100 cm.
En 1856, Brouillet-Cacheleux dépose en France un brevet de poupée articulée. Dans les années 1930, l’artiste allemand Hans Bellmer crée des poupées à articulations sphéroïdes qu’il utilise pour des travaux artistiques photographiques et surréalistes.
Influencés par Bellmer et la riche tradition japonaise des poupées (photo),
Les poupées Ichimatsu Ningyo étaient très aimées pendant la période Edo (1603-1867)
les artistes en poupées japonais commencèrent à créer des poupées à articulations sphéroïdes, pour la plupart faites entièrement en biscuit et souvent très grandes (jusqu’à 120 cm), conçues comme de véritables objets d’art. Elles coûtent plusieurs milliers d’euros, et jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros pour les plus anciennes créées par des artistes renommés. La communauté japonaise des artistes en poupée est toujours vivace et produit régulièrement des livres d’art contenant des photos de leurs poupées.
Les premières BJD asiatiques commerciales modernes (ABJD) sont produites en 1999 par la société japonaise Volks avec la ligne de poupées Super Dollfie vendues en kits inspirés des maquettes de garage en résine, qui étaient le produit phare de Volks à l’époque. Les Super Dollfie étaient conçues pour être hautement personnalisables et trouver une clientèle féminine.
À partir de 2002, les compagnies sud coréennes telles que Customhouse (photo) et Cerberus Project commencèrent à produire des BJD, suivies par beaucoup d’autres.
Tête de BJD Customhouse
Les premières BJD produites en Chine étaient des contrefaçons directes (remoulage de versions originales de poupées, “recast”) ou des copies de Super Dollfie ou de BJD sud coréennes. Faites de plastique, résine de mauvaise qualité ou pierre artificielle (mélange de résine et de sable), elles étaient bon marché et peu durables. Les contrefaçons rencontrent une forte opposition dans le monde des collectionneurs de BJD, pour des raisons juridiques, sanitaires et éthiques. La première société chinoise à produire des BJD originales de qualité fut Dollzone (photo), qui rencontra son marché en 2006, suivies par d’autres sociétés fortement exportatrices.
BJD modèle Riven de Dollzone
Aux États-Unis, la première société à produire des BJD avec une influence esthétique typiquement américaine fut Goodreau Doll en 2007. En France a eu lieu tous les ans depuis 2011 le premier salon européen consacré aux BJD, Ldoll Festival.
Les BJD asiatiques modernes
Les poupées ABJD valent entre 90 et plus de 1 000 €. Ces prix élevés s’expliquent par le coût des matières premières, la manipulation délicate de la résine et le processus itératif long et complexe, souvent manuel, de fabrication : dessin, sculpture, test de moulage, ponçage, nouveau test de moulage, nouveau ponçage, etc. Une fois le corps nu terminé, il faut ajouter le coût des yeux, de la perruque, du maquillage et des vêtements.
Ces poupées tendent à suivre une vision esthétique purement asiatique, mais les conceptions varient des modèles fortement inspirés de l’anime aux designs hyperréalistes. La plupart sont anatomiquement correctes, hormis les têtes, les yeux et les pieds surdimensionnés, et tiennent debout sans besoin de support (photo).
La BJD Anastasia de Volks et ses vêtements
Concernant la personnalisation, une poupée peut même être constituée d’éléments hybrides issus de différentes sociétés. Certains propriétaires vont jusqu’à reformer des parties existantes par meulage ou application de mastic epoxy. La peinture faciale des BJD (“face-up”), comprend non seulement le maquillage, mais aussi la peinture des éléments du visage (sourcils, lèvres, teint des joues), qui s’exécute au moyen de crayons aquarellables, de peinture acrylique ou de pastels doux, pour être ensuite recouverts d’une couche vaporisée de produit de scellement mat et clair assurant leur protection.
Les éditions courantes de BJD sont vendues assemblées avec une option pour la peinture faciale, tandis que les modèles complets, souvent en édition limitée, incluent les vêtements, la peinture faciale et parfois la coloration du corps (photo) ; elles valent alors encore plus cher que les éditions courantes, jusqu’à 5 000 €.
Culturellement parlant, les BJD jouissent d’une communauté internationale large : la plus grande communauté internet de langue anglaise, Den of Angels, comptait plus de 43 000 membres en février 2016. Des rencontres se font lors d’un meeting ou dans un maid café, organisées par les constructeurs ou les revendeurs.
Les propriétaires de BJD non seulement personnalisent leurs poupées, mais leur donnent un nom, leur attribuent une famille et des traits de caractère, les font participer à des jeux de rôles, voire leur parlent comme si elles étaient vivantes. Ils ont souvent d’autres centres d’intérêt comme l’anime, la mode Lolita et le cosplay, et certains habillent leurs poupées dans un style correspondant. Les BJD sont souvent habillées en tenues de mode jeunes telles que le punk ou le gothique (photo) ; d’autres exhibent des éléments de fantasie, comme des oreilles d’elfes, des crocs de vampire, des ailes, des cornes, des sabots et des organes de cyborgs.
Les fabricants copient des personnages d’anime, de manga ou d’autres œuvres de fiction, de personnages historiques et de célébrités contemporaines.
Les ABJD incarnent des personnages dans des domaines d’expression artistiques divers : cinéma, musique (groupes virtuels), littérature, bande dessinée.
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Fabrication
Côté fabrication, les BJD sont d’abord modelées en argile polymère, les parties du corps durcies ensuite utilisées pour former des moules destinés au coulage d’une résine polyuréthane synthétique. La résine durcie a une dureté et une douceur au toucher proches de la porcelaine, en moins cassant ; cependant, contrairement à la porcelaine, cette résine a tendance à jaunir et à se dégrader dans le temps suite à l’exposition aux UV et à la chaleur. Le procédé de coulage permet de produire des moules moins chers (photo) que le moulage par injection communément employé pour la fabrication en grande série des poupées en vinyl.
Diffusion
Sur le plan de la diffusion, les BJD sont produites depuis les petites séries d’artistes indépendants jusqu’aux très grandes séries de multinationales. Citons, parmi les nombreuses lignes de BJD existantes : les Super Dollfie de Volks et les U-noa Quluts d’Alchemic Labo (Japon) ; les Delf de Luts, les Ai de Custom Dolls, les Minimee de Dolls In Mind, les Bermann de Dollshe et les Catsy d’Elfdoll (Corée du sud) ; les Anson de Dollzone et les Alina d’Angell Studio (Chine).
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Sources de l’article
- La FAQ “Pratiques autour de la BJD” du revendeur Jolie Doll
- L’article “Ball-jointed doll” de Wikipedia
- La banque terminologique canadienne Termium
