Le rose dans la mode : une couleur puissante

À l’occasion de l’exposition Pink : the history of a punk, pretty, powerful color (Rose : l’histoire d’une couleur punk, jolie et puissante), qui s’est tenue du 7 septembre 2018 au 5 janvier 2019 au Fashion Institute of Technology de New York, nous revenons sur l’histoire et la signification de cette couleur singulière dans le domaine de la mode.
Traditionnellement associée aux petites filles, aux ballerines, aux poupées Barbie et à tout ce qui touche au féminin, la couleur rose dans l’habillement a néanmoins revêtu un symbolisme et une signification très variables dans le temps et dans l’espace. Le stéréotype du bleu pour les garçons et du rose pour les filles n’existe que depuis le milieu du XXe siècle, alors qu’il était parfaitement approprié pour les hommes comme pour les femmes de porter une tenue rose au XVIIIe siècle, quand Madame de Pompadour mettait cette couleur à la mode à la cour de Louis XV. L’étude du rose dans la mode occidentale des années 1850 aux années 1990 pourrait se résumer par “jolie en rose”. Au XIXe siècle, la couleur a commencé à se féminiser, avec l’adoption par les hommes occidentaux de costumes noirs. Mais dans d’autres parties du monde, le rose a conservé son caractère unisexe. Dans la culture indienne par exemple, les hommes continuent de porter du rose, ce qui a fait dire à la journaliste de mode américaine Diana Vreeland “le rose est le bleu marine de l’Inde”. Toutefois, quiconque s’intéresse au rose se heurte un jour à son ambivalence intrinsèque. L’une des couleurs les plus diviseuses, elle provoque de fortes réactions d’attraction ou de répulsion. “S’il vous plaît, mes sœurs, tenez-vous à distance du rose”, s’écrie une journaliste du Washington Post lorsqu’elle apprend que des manifestantes appellent à porter des “pussy hats” (bonnets roses à oreilles de chat rappelant le sexe féminin) lors de la marche des femmes à Washington en janvier 2017 (photo). Le féminisme est une affaire sérieuse, écrit-elle, et les mignons bonnets roses risquent de dévaloriser le combat.

Au Japon, par contraste, le rose (“momo iru”) est la plus populaire des couleurs. Associé au “jour des filles” (voir “Hina” dans Les ningyō, poupées traditionnelles du Japon), il évoque le côté mignon (“kawaii”) des fillettes, ferventes adeptes de la mascotte “Hello Kitty”, petit chat habillé en rose et devenu un succès planétaire. Le chromo-psychologue japonais Tamio Suenaga affirme : “toutes les études prouvent que le rose évoque le bonheur, le bien-être et la croissance industrielle. Tout ce qui est mignon est rose et se vend bien. Le rose symbolise aussi la tolérance, la liberté et le sexe des femmes” (cité dans “L’imaginaire érotique au Japon”, Agnès Giard, Albin Michel, 2006).
Certains pensent que le rose est doux, joli et romantique, tandis que d’autres l’associent à la frivolité enfantine ou à la plus grande vulgarité. Le rose est un thème récurrent dans la mode, où il implique souvent différents types de féminité, de l’innocence à l’érotisme, ce qui est rendu par la palette de nuances de cette couleur : pastel, corail, bisque, cerise, chair, rose Barbie, rose chewing-gum, coquille d’œuf, rose lingerie, cuisse de nymphe, framboise, fushia, héliotrope, incarnadin, rose Pompadour, magenta, mauve, pêche, rose balais, rose bonbon, rose choc, rose Mountbatten, rose thé, rose vif, saumon, vieux rose,…
Différentes nuances de rose ont eu leur heure de gloire au cours de l’histoire. Au début du XXe siècle, une robe rose pâle portée par une femme de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie pouvait être délicate et féminine, tandis qu’un rose plus vif aurait paru exotique. Le styliste français Paul Poiret a introduit les roses pastel, corail et cerise dans la haute couture (photo de gauche ci-dessous). Dans les années 1930, les vêtements et accessoires surréalistes de la créatrice de mode italienne Elsa Schiaparelli culminent dans une série d’ensemble rose choc (photo de droite ci-dessous), une teinte vive que l’observateur moderne pourrait appeler rose Barbie et qui est aujourd’hui une couleur du nuancier normalisé PMS (Pantone Matching System) sous la référence Pantone 219 C.

Dans les années 1940 et 1950, le rose devient une couleur populaire pour les vêtements de femmes. Les célèbres poupées de  la collection “Théâtre de la mode” de Robert Tonner incluent des tenues de soirée élaborées roses ou rose et noir (“Framboise robe du grand soir”, photo de gauche ci-dessous). Les créateurs de costume pour le cinéma prisaient le rose pour leurs films en technicolor : imagine-t-on Marilyn Monroe chanter “Diamonds are a girl’s best friends” en robe bleue ? (photo de droite ci-dessous).

La prédilection pour le rose a perduré dans les années 1960, la couleur redevenant, comme dans les années 1920-1930, vive et brillante. Il suffit, pour constater ce changement, d’un rapide survol des brochures de mode des Barbie. C’est là que s’établit la couleur signature des fameuses poupées. Certes, elles portaient bien une robe bain de soleil rose pastel ou un peignoir rose pâle ici ou là, mais ce qui caractérisait leur allure à la mode était cet immanquable rose brillant et chaud. Par ailleurs, des icônes telles que Jackie Kennedy, Marilyn Monroe ou Brigitte Bardot ont rendu le rose populaire auprès du grand public, une couleur évoquant féminité et élégance (photos).

Dans un domaine différent de l’habillement, La Cadillac rose du boxeur Sugar Ray Robinson a influencé Elvis Presley (photos).

Déclinant dans les années 1970, le rose fit un comeback dans les années 1980, dans les nuances brillant acide et néon utilisées par la styliste Norma Kamali et le créateur de mode Stephen Sprouse, tous deux américains, ou dans la tonalité rose vif d’un costume aux larges épaules du styliste français Claude Montana. “Le rose est la seule vraie couleur du rock’n roll”, affirme Paul Simonon, bassiste du groupe punk “The Clash”, genre musical qui a adopté cette couleur comme emblème de contre-culture. Depuis, le rose joue un rôle significatif sur le plan politique et dans la musique populaire associée à la jeunesse rebelle ou engagée. Pour exemples : les bonnets roses de la marche des femmes à Washington en janvier 2017 (voir plus haut) ; le drapeau rose du parti politique belge FDF (Front Démocratique des Bruxellois Francophones) ; la vague rose du basculement à gauche en Amérique Latine dans les années 2000 ; le tube érotique subversif “pynk” de la chanteuse américaine Janelle Monáe, qui associe le rose aux parties du corps féminin telles que lèvres, tétons et sexe  ; la chanteuse et comédienne américaine Pink, militante pour les droits des animaux et ambassadrice de l’UNICEF ; la fourrure rose du rappeur de Harlem Cam’ron. Le caractère érotique de la lingerie rose, qui se confond avec le ton chair de la peau, s’exprime aussi dans le domaine des poupées (photos ci-dessous, de gauche à droite : Kingdom doll, Barbie, Gene Marshall).

Dans les domaines politique et sociétal, le rose prend des significations tragiques ou graves : les homosexuels de l’Allemagne nazie étaient marqués d’un triangle rose,  tandis que cette couleur devient un symbole de l’activisme gay dans les années 1970 et que le SIDA est parfois qualifié en France de “peste rose”. Les cultures asiatiques ont un penchant plus marqué pour le rose  que leurs homologues occidentales, particulièrement au Japon, où s’exprime la culture enfantine issue du quartier de Harajuku à Tokyo avec ses boutiques de cosplay et la mode Lolita (photos).

Lorsque la journaliste de mode américaine Véronique Hyland proclame la naissance du “rose du millénium” en 2016, “rose ironique, rose sans la joliesse du sucre”, le rose n’est plus déclassé, il est “cool” et androgyne. Le nom a disparu, mais le rose continue d’être à la mode, en partie parce qu’il n’est plus vu comme exclusivement féminin. “La couleur est évidemment un phénomène naturel, mais c’est aussi une construction culturelle complexe”, écrit le célèbre historien des couleurs Michel Pastoureau. “Il n’y a pas de perception transculturelle de la couleur. C’est la société qui fait les couleurs, les définit, donne leur signification.” Hier associé aux stéréotypes négatifs de la féminité, le rose est aujourd’hui, comme le définit la publication culturelle britannique i-D magazine, “punk, joli et puissant”. Ci-dessous, de gauche à droite : un assortiment de jouets et de vêtements de poupées roses ; ensemble de la marque “Comme des garçons”.

 

Sources de l’article

  • Article “The power of pink”, dans le numéro d’hiver 2018 du magazine”Fashion doll quarterly”
  • L’imaginaire érotique au Japon, Agnès Giard, Albin Michel, 2006
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Les poupées mannequins de JAMIEshow

JAMIEshow dolls, qui fêtera ses dix ans en 2019, est une entreprise américaine de fabrication de BJD en résine. Cette résine translucide hypoallergénique non toxique brevetée appelée smooth J, spécialement développée pour JAMIEshow, procure aux poupées une texture douce. Disponibles en versions féminine et masculine, les poupées, de grande taille (41 cm) et présentant une allure glamour, offrent un degré d’articulation et une posabilité élevés. Les quatre premiers modèles Jamie, Ruyi, Kyra (photos ci-dessous, de gauche à droite) et Mayumi, introduits à l’automne 2009 (blossom collection), sont proposés avec des yeux peints ou en verre incrustés.

Puis sont introduits les deux hommes Paris et Ty avec leurs garde-robes, et au printemps 2010 la deuxième génération de poupées (Basic dolls) avec des corps plus pleins, de nouvelles articulations permettant une meilleure assise, un teint mat et des oreilles percées. À l’été 2010 sortent quatre nouveaux personnages, de teintes de peau variées : Lena, Sabina, Angelica (photos ci-dessous, de gauche à droite) et Sun.

Viennent ensuite Kyle (homme) et Sasha, la première poupée à perruque fixée, puis Alejandro, Lee et Eshe (photos ci-dessous, de gauche à droite).

À l’été 2011 est introduite la collection “Basic Saint-Tropez”, avec de nouvelles sculptures pour Eshe, Angelica, Sun et Sasha, et des perruques fixées interchangeables. En 2013 arrivent les modèles Grace et Ling Lan. Une collaboration fructueuse de plusieurs années avec le célèbre créateur de poupées Mel Odom conduit à la renaissance de 2013 à 2018 de l’un des personnages les plus populaires et les plus aimés de l’histoire des poupées mannequins : Gene Marshall (photos ci-dessous). C’est un véritable succès public et commercial.

La même année sont produites les adolescentes Didi et Edie, puis Natalie la sœur de Kyra, enfin, en collaboration avec Mel Odom, Madra, Violet et Oona. À l’été 2014, la collection “Demi Couture” propose Grace, Eshe et Ginny en OOAK de taille 30 cm (celle de Barbie) avec 17 points d’articulation. En 2015 sortent Marlena (Marlene Dietrich) et Sofia (Sophia Loren) les stars hollywoodiennes, ainsi qu’une nouvelle Natalie, Linda (La top-model Linda Evangelista), Lauren (Lauren Bacall) et Audry (Audrey Hepburn). Veronika, le mannequin de Russie, est produite en 2016, ainsi qu’une version “retro holiday” en 2018, en robe gabardine rouge des années 1950. Côté hommes, Cameron arrive en 2012, Tatum en 2013, Trent Osborne en 2014 et Cary (l’acteur Cary Grant) en 2016 (photos ci-dessous de gauche à droite pour les trois derniers).

Dès leur lancement en 2009 par leur fondateur George Gonzalez, les JAMIEshow sont reconnues comme novatrices dans le milieu évolutif de la poupée mannequin. La résine brevetée tout d’abord, “si inoffensive que vous pouvez ingérer trois des cinq ingrédients qui la composent”, comme se plaît à le rappeler George Gonzalez. Les articulations ensuite : “quand j’ai créé la ligne JAMIEshow, j’ai voulu faire la poupée la plus réaliste du marché, avec des articulations les plus naturelles possible, permettant de reproduire les mouvements de la vie réelle”. Enfin le prix, inférieur à celui des autres BJD populaires du marché. “Nous nous sommes affranchis de tous les intermédiaires, en vendant les poupées directement du producteur au consommateur”, rappelle Gonzalez. Tous ces éléments concourent à la production de poupées chics aux physiques, visages et expressions caractéristiques. La diversité a été prise en compte, avec la présence de quelques poupées noires ou métisses. Des hommages aux célébrités incluent la top-model Linda Evangelista, les actrices Audrey Hepburn, Marlene Dietrich, Sophia Loren (photos ci-dessous de gauche à droite), Lauren Bacall, Doris Day et les oscarisés Cary Grant et Rock Hudson.

À l’approche du 10e anniversaire, le fondateur est fier des réalisations de sa marque, mais reste concentré sur les futures innovations : les collectionneurs peuvent s’attendre à des annonces importantes lors de la convention de 2019 qui se tiendra à Miami et La Havane.
Dès le départ, George Gonzalez ne croit pas aux stratégies à long terme : “nous ne planifions pas au-delà d’une année, et changeons souvent de direction en réponse aux tendances. Notre façon de travailler et de produire nous permet de réagir vite et de mettre une nouveauté sur le marché en 30 jours”. Il ajoute : “cependant, la mode n’est pas toujours aussi rapide, et mes influences sont heureusement plus inspirées par mes voyages et ce que je vois du monde. Comme dit notre devise ‘la beauté est partout’, et je suis constamment en recherche d’inspiration dans tout ce que je vois”. Un de ses buts avoués est d’influencer les collectionneurs avec ses idées et sa créativité, en offrant ce qui n’a jamais été fait. Selon lui, rester pertinent ne signifie pas toujours donner aux collectionneurs ce qu’ils réclament mais leur montrer ce qu’ils vont être amenés à désirer : “apporter aux gens ce qu’ils n’attendent pas est ce qui me motive. J’ai toujours produit l’imprévu au lieu de suivre les tendances”. Une de ces tendances, populaire aujourd’hui dans le monde des BJD, est de retravailler le corps des poupées pour améliorer leur mobilité et leur apparence, par exemple en rajoutant des articulations ou en modifiant leur taille. Ceci a déjà été fait depuis des années par JAMIEshow, peut-être de manière trop discrète pour être remarqué, mais néanmoins suffisante pour que leurs attributs satisfassent  aujourd’hui leurs créateurs. Une des forces de JAMIEshow est de s’être assuré de la collaboration de talents créateurs reconnus, à l’instar de Mel Odom, Lori Lyons ou Gou Pei. Ci-dessous, de gauche à droite : Gene Phoenix, Gene Marshall à la convention “Hollywood canteen” de 2016 à Chicago, robe “The pink parlor” dessinée par Gou Pei.

 

Sources de l’article :
  • Article “JAMIEshow’s terrific 10th” de Wil Peterson, dans le numéro de novembre/décembre 2018 du magazine “Dolls”
  • Site web JAMIEshow doll USA
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